Donner les clés des conseils d’administration aux femmes!

En résumé

Si le nombre d’administratrices de sociétés a légèrement augmenté en Suisse, il est encore trop faible. Sa part s’établit environ de 16% à 22% selon les méthodes de calculs ou la taille de l’entreprise considérée.

D’après les études les plus récentes et les témoignages récoltés, les raisons en sont multiples et complexes. Or, alors que l’on relève un besoin croissant de

professionnalisation du métier en Suisse, il y aurait sans doute des opportunités à saisir pour les femmes, qui apporteraient plus de diversité au sein des conseils. Les principales intéressées doivent toutefois mettre en place une stratégie de longue haleine, spécifique et très exigeante. Les témoignages des pionnières montrent qu’à ce prix, la voie est bénéfique pour tout le monde.

On pourrait s’étonner du fait qu’en 2021, après un réveil concernant la mise en pratique de l’égalité des chances au travail, il y ait toujours aussi peu d’administratrices de sociétés dans les entreprises suisses. «La situation stagne autour de 16%», confirme Diane Reinhard, économiste, professeure et présidente de Board2win, une association spécialisée dans la diversité au sein des conseils d’administration (CA) et cofondatrice du  Cercle suisse des administratrices (CSDA). Cette proportion serait un peu supérieure à la moyenne dans les petites ou très petites structures, souvent familiales. Elle n’atteint que 13% au sein de celles comptant plus de deux cent cinquante collaborateurs.

Au-delà de la question du genre, c’est surtout la question de la qualité de la gouvernance qui se pose. Il faut savoir conseiller la direction et jouer les intermédiaires entre les membres du conseil et les actionnaires. Il faut surtout savoir identifier les risques pour assurer la pérennité de l’organisation. Or, alors que ce rôle est crucial, le processus de recrutement reste trop peu spécialisé, voire opaque. Même sans volonté dirigée contre la présence de femmes au sein des conseils d’administration, les décideurs en place cèdent au choix de facilité en puisant dans leurs cercles relationnels. «Ce réseautage n’a rien à voir avec celui que l’on entend lorsqu’il s’agit de décrocher un poste de direction»,  remarque Dominique Faesch, présidente du CSDA, qui compte deux cent cinquante membres, dont 75% ont des mandats d’administratrices.

Une préparation minutieuse

 

«Notre objectif est de tenir à jour une liste de candidates compétentes et opérationnelles et de donner plus de visibilité à celles dont les profils correspondent à ceux qui sont recherchés par les conseils d’administration.»

Sachant qu’il faut avoir un certain nombre de compétences professionnelles pointues, le CSDA propose à toute femme intéressée d’effectuer un bilan de compétences et conseille des formations complémentaires, au besoin. Outre les connaissances financières ou légales nécessaires pour remplir un mandat au sein d’un CA, il faut aussi cultiver ses soft skills et entreprendre diverses actions de visibilité: rédaction d’articles pour la presse, interventions dans des conférences, etc.

Faudrait-il imposer des quotas de femmes au sein des CA? La question revient périodiquement sur le devant de la scène, mais n’a, pour le moment, aboutit qu’à une incitation à travers le nouveau droit de la SA datant de l’an dernier (modification de l’art 734f). Il y est expressément précisé que les entreprises doivent mentionner les raisons pour lesquelles la représentation de chaque sexe n’atteint pas le minimum prévu et quelles sont les mesures de promotion du genre le moins représenté. 

«Ce débat politique a cela de positif qu’il entretient la contestation par rapport à la situation actuelle», commente Dominique Faesch. «Pour ma part, je préférerais que le problème soit traité différemment. Il faudrait que les actionnaires exigent un processus de sélection basé sur des compétences complémentaires et appropriées par rapport à une situation précise. Je pense aussi que les certifications ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) ou RSE (responsabilité sociale de l’entreprise) devraient intégrer ce critère».

La plupart des témoignages montrent que tout le monde aurait à y gagner si l’on obtenait plus de diversité de compétences, et a fortiori de genres, au sein des conseils. A ce titre, l’expérience d’Anne Héritier Lachat, première présidente du CA de la FINMA (l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers), entre 2011 à 2015, pourrait servir d’exemple à toutes. Sa vision stratégique a été révélatrice de la prudence, de la finesse et de la pondération dont sait faire preuve une femme à ce niveau de responsabilités. Toutes celles qui ont suivi ce chemin ont aussi appris à dire haut et fort ce qu’elles pensent quand il le faut.

«La quintessence des soft skills et de l’expertise»

Samira Marquis a rejoint en avril dernier le comité du Cercle suisse des administratrices. Elle se définit comme une experte en organisation du travail et stratégie en ressources humaines. Aujourd’hui, elle assume trois mandats comme administratrice indépendante et explique pourquoi l’idée de pouvoir influencer les décisions l’ont motivée.

Forte d’une expérience de plus de vingt ans de gouvernance opérationnelle, Samira Marquis raconte que son premier mandat d’administratrice s’est fait de manière assez naturelle. Son expérience lui avait permis de participer à l’élaboration de la stratégie ainsi qu’à la gestion de crise au sein d’entreprises prestigieuses du luxe ou de l’industrie. Ce solide bagage lui permet de bien comprendre les enjeux opérationnels et de les questionner en fonction des objectifs stratégiques. Tout au long de son parcours, Samira Marquis a choisi d’améliorer ses compétences grâce à plusieurs formations dans des domaines d’expertise qui lui manquaient. Elle se dit aujourd’hui très intéressée par la digitalisation de l’économie, tout en respectant les valeurs des entreprises mandatrices. «Devenir administratrice, c’est à la fois passionnant et très exigeant. Cela requiert une grande agilité intellectuelle et il est impossible de ménager ses efforts», explique-t-elle quand on l’interroge sur sa motivation. «Pour y arriver, il faut garder en tête deux priorités: les bonnes pratiques de gouvernance et la diversité. Actuellement, je pense qu’il est important de compléter l’éventail des compétences (surtout financières et juridiques) par des profils qui ont d’autres expériences ou expertises. Il est indispensable que les directions générales comprennent que l'accompagnement et l’adhésion des collaborateurs sont des facteurs clé de leur réussite, en particulier en période de changement et d'incertitude. C’est aussi de la responsabilité des CA de protéger et de veiller au développement responsable du capital humain de l’entreprise.» Sur la question de la féminisation des CA, Samira Marquis est très engagée: «En Suisse, il est curieux que les femmes, majoritaires à sortir diplômées des universités, se comptent si faiblement à des postes de dirigeantes et encore moins dans les conseils d’administration», regrette-t-elle. Cette réalité a un impact négatif sur toute la société: c’est un investissement qui ne va pas jusqu’au bout. Aujourd’hui, elle a décidé de s’engager plus activement au sein de la CSDA pour encourager la relève. «N’oublions pas qu’être administratrice est une mission à long terme, qui se prépare soigneusement. Les conseils se renouvellent environ tous les dix ans. Il n’est pas possible d’improviser dans ce domaine», conclut-elle.