L’Europe veut renforcer son industrie des semi-conducteurs

En résumé

La Commission européenne propose un plan très ambitieux – le Chips Act européen – qui prévoit quarante-deux milliards d’euros d’investissements publics dans le domaine des semi-conducteurs. Objectif: réduire la dépendance européenne envers l’Asie.

«C’est le plan industriel le plus important de ces dernières années», a déclaré Thierry Breton, commissaire au marché intérieur, en présentant début février le projet de loi européenne qui doit lancer l’Europe dans la course technologique pour les semiconducteurs, ces éléments de base pour créer les puces indispensables à l’électronique de pointe. On trouve ces puces électroniques partout: dans les ordinateurs, les smartphones, les voitures, les machines à laver, ou les cafetières électriques. La pénurie de semi-conducteurs, qui frappe notamment l’industrie automobile depuis trois ans, a provoqué un électrochoc, auquel s’est ajoutée la prise de conscience, avec la pandémie, que les importations pouvaient s’arrêter du jour au lendemain.

Il est apparu évident qu’il fallait produire davantage en Europe ces composants indispensables: actuellement, l’Union européenne produit moins de 10% des semi-conducteurs dans le monde et dépend fortement de fournisseurs asiatiques, essentiellement Taïwan et la Corée. «Si Taïwan n’était plus en mesure d’exporter, en trois semaines, l’ensemble des usines du monde s’arrêteraient», avertit Thierry Breton. Etant donné l’instabilité politique dans la région, il y a de quoi s’inquiéter.

IMPLANTER DES USINES

«La crise des vaccins nous a montré qu’être excellent en recherche n’était pas suffisant pour répondre à nos besoins. Il faut savoir produire», explique le commissaire, en précisant qu’«il ne s’agit pas d’être auto-suffisant, mais de construire une Europe «usine» capable de conquérir une part croissante du marché mondial». Thierry Breton fixe la barre à 20%, sachant que la production mondiale de puces électroniques devrait doubler d’ici à 2030. «On vise un quadruplement de la production.»

Le plan proposé par la Commission européenne comprend deux volets. D’une part, il prévoit douze milliards d’euros (six milliards venant de la Commission et six milliards des Etats membres) pour renforcer et financer la recherche dans les puces les plus innovantes. D’autre part, il veut faciliter l’implantation d’usines en Europe en autorisant les Etats membres qui les accueilleraient à les subventionner largement, pour autant que ces usines fabriquent des puces innovantes. L’Exécutif estime pouvoir mobiliser trente milliards d’euros (provenant en partir du budget européen). Avec ces aides publiques, la Commission espère attirer des investissements privés.

ADAPTER LES AIDES D’ÉTAT

Il est évident que ce projet s’écarte quelque peu des sacro-saintes règles européennes en matière de concurrence: la Commission parle d’«adaptation» nécessaire des règles d’aides d’Etat, étant donné «l’enjeu industriel, économique et stratégique». Ces aides seront cependant examinées à la loupe, elles devront être «appropriées» et «proportionnées» et les effets positifs l’emporter sur les éventuels risques de distorsion de concurrence. Comme ces aides peuvent également profiter à des entreprises étrangères, la Commission souhaite mettre en place des garde-fous. En cas de rupture d’approvisionnement, il serait ainsi possible de limiter les exportations. 

Le plan propose également une mesure immédiate, à savoir la mise en place d’un mécanisme de coordination entre les Etats membres et la Commission, qui devrait permettre une réaction rapide en cas de crise. L’objectif est très clair: «Sans puces, pas de transition numérique, pas de transition verte, pas de leadership technologique», insiste Thierry Breton. «Sécuriser l’approvisionnement en puces les plus avancées est devenu une priorité économique et géopolitique.»

DÉBATS DIFFICILES

Le projet de loi européenne sur les puces va maintenant être négocié au Conseil et au Parlement européen. La Commission souhaite que l’on aille vite. Elle a déjà présenté son projet fin février aux ministres européens chargés de l’intérieur et de l’industrie. Les débats s’annoncent difficiles, pour plusieurs raisons. Le projet remet en cause les règles de la concurrence, une petite «révolution culturelle», dit-on dans les couloirs. Tous les pays ne sont pas enthousiastes à l’idée d’instaurer un mécanisme de contrôle des exportations. Certains petits pays ou les pays nordiques expriment également des réticences, craignant que le projet favorise avant tout les grands Etats membres. En effet, seuls quelques Etats membres fabriquent aujourd’hui des semi-conducteurs: la France, l’Allemagne, l’Italie, les PaysBas et la Belgique.