L’innovation low tech répond aux besoins de notre société

En résumé

Low technologie. Il ne s’agit pas ici de se méfier des progrès techniques et technologiques. Il s’agit d’envisager d’autres façons d’innover et d’élaborer ou d’améliorer un produit ou un service en ne misant pas tout sur le high tech. L’innovation low tech est ainsi partout et pourtant, parce qu’elle est moins spectaculaire que d’autres avancées technologiques, elle souffre d’un déficit d’image. Explications.

«Il y a autant de définitions de low tech que de personnes qui en parlent», prévient l’ingénieur Philippe Bihouix, auteur du livre L’âge des low tech, publié aux éditions du Seuil il y a quelques années. Tentons tout de même une définition et partons du principe que le low tech dont il sera question dans le texte à suivre ne correspond pas à un rejet de la technologie ou de l’innovation technologique – ce que propose en partie Philippe Bihouix –, mais plutôt à une façon d’innover qui ne mise pas tout sur l’aspect technologique, prenant en compte d’autres éléments (par exemple des aspects culturels, organisationnels, liés au développement durable ou aux attentes des consommateurs). 

Cela entre en résonnance avec les mots que l’on trouve dans le rapport L’innovation silencieuse, publié par Genilem, association à but non lucratif dont la mission est d’aider les entrepreneurs des cantons de Vaud et Genève à bâtir des entreprises innovantes et viables dans tous les secteurs d’activité: «Innover, ce n’est pas simplement améliorer son produit ou son service, c’est changer de modèle d’affaires, trouver de nouvelles manières de recruter, s’adresser autrement à ses clients, importer et adapter des solutions qui n’existent pas ici, trouver des canaux de vente inédits, des composants durables et locaux, des partenaires inattendus». David Narr, directeur de Genilem, ajoute: «Sans haute technologie ou sans technologie, il est possible et souhaitable d’innover. 

Des innovations low tech voient le jour chaque semaine dans les PME suisses! Elles sont simplement moins médiatisées que celles qui se targuent du label high tech. Ce déficit d’image est à changer. L’innovation low tech ne correspond pas à une façon d’encourager une sorte de décroissance, mais se conçoit plutôt comme un moyen de faire aussi bien, mais avec moins de technologie. Celle-ci n’est pas la solution à tous les problèmes et peut même se révéler commercialement très insatisfaisante quand elle ne répond à aucune demande du marché». 

DES AVANTAGES MULTIPLES 

Dans ses affirmations, David Narr est rejoint par Caroline Widmer, directrice de Pulse Incubateur HES, organisme qui identifie et accompagne les idées et les projets entrepreneuriaux innovants et à fort potentiel des étudiantes et étudiants des six écoles de la HESSO Genève. «Il existe un biais médiatique défavorable aux innovations low tech. Elles sont moins visibles que les autres. Or, nous en avons besoin. Elles ne sont pas synonymes d’un retour en arrière. Au contraire, elles répondent notamment aux impératifs actuels de durabilité et de gestion de la finitude des ressources. L’innovation high tech conserve toute sa pertinence pour des projets spécifiques, en médecine par exemple. Il ne s’agit pas du tout d’opposer low tech et high tech, mais de rétablir un équilibre dans la façon de parler publiquement d’un concept ou de l’autre.»

La directrice de Pulse met en avant trois projets issus ou partenaires de son incubateur pour illustrer son propos. Il y a d’abord Wondervision Studio, organisation active en Suisse et en France. Il s’agit d’un studio de création qui développe une expertise durable et engagée à travers l’upcycling, c’est-à-dire le réemploi d’une matière pour en créer une nouvelle, et de nouveaux objets. Dans cette perspective, Wondervision travaille notamment avec Caritas pour proposer à différents publics des produits, ustensiles ou dispositifs nés d’anciens objets récupérés. La poubelle Mint de l’entreprise genevoise Klode est un projet low tech qui a grandi chez Pulse. Cette poubelle facilite le tri des déchets organiques grâce à un système de mise sous vide. Simple et efficace. Studio Tec, autre projet soutenu par Pulse, se propose de réinventer le «design d’espace et la scénographie, avec une démarche durable basée sur l’économie circulaire». L’idée low tech? Donner une deuxième vie aux décors de théâtre ou d’expositions qui peuvent avoir tendance à partir trop rapidement vers la benne à ordures une fois un événement terminé.

LE BESOIN DE FINANCEMENTS SUPPLÉMENTAIRES

«Le low tech est une excellente école pour expérimenter de façon durable, avec un modèle tourné vers la sobriété énergétique et répondant à des besoins réels. L’innovation low tech a en outre de multiples avantages: elle a montré sa capacité à créer de l’emploi et du lien social, tout en facilitant l’autonomie et la résilience des organisations privées ou publiques», ajoute encore Caroline Widmer. Nadine Reichenthal enseigne l’entrepreneuriat dans les universités de Lausanne et de Genève. Elle dirige au sein de celle-ci l’Entrepreneurship Laboratory. 

Dans ses cours, au-delà du fait de rêver à un projet d’entreprise, de prendre plaisir à fabriquer un produit, à penser sa création en fonction de tel ou tel concept sans prendre en compte le critère de faisabilité, elle insiste sur la capacité à rendre concrètes des idées rentables. Le low tech se présente comme une approche efficace pour arriver à cet objectif. «L’entrepreneuriat existe pour répondre aux besoins des personnes. Ces derniers donnent une certaine valeur à la solution qui leur est proposée. Cette valeur se transforme ensuite en prix sur le marché. 

Ces règles sont bien évidemment applicables pour les innovations low tech qui possèdent beaucoup d’atouts. Celles-ci s’harmonisent parfaitement avec notre époque plus soucieuse de l’environnement. Elles misent souvent sur le local pour produire ou vendre un bien ou un service et se tournent très fréquemment vers des problématiques liées à l’amélioration de notre qualité de vie». Forte de tous ces arguments, Nadine Reichenthal insiste sur un point: le financement des innovations low tech doit être facilité. «Les aides et les soutiens financiers devraient être plus nombreux pour les projets low tech, à l’instar des aides qui existent pour les projets high tech, beaucoup plus médiatisés.»