Que la lumière soit!

En résumé

Prioritaire et urgente. Voilà comment résumer la situation sur le front de l’électricité. Car, en Suisse, le scénario d’une pénurie d’électricité n’est plus de la science-fiction, mais un risque qu’il convient de contenir au plus vite. Cela implique le fait de renforcer les capacités de production indigènes et de réduire, quand c’est possible, la consommation électrique. La branche se prépare à faire face à un contexte toujours plus exigeant afin de garantir la sécurité de l’approvisionnement en électricité sur toute la chaîne de création de valeur. Les mesures envisagées concernent la consommation, la production, le stockage centralisé et décentralisé, le négoce, le réseau, les bases régulatoires, l’acceptation ainsi que la collaboration avec l’Union européenne. La politique énergétique suisse a toutefois ses limites et ses contradictions.

La pénurie d’électricité est comprise dans les risques graves énumérés dans la Constitution suisse, car elle aurait un impact généralisé, tant du point de vue économique que privé. Quant à la question de l’approvisionnement, elle repose avant tout sur les acteurs privés, la Confédération ne devant intervenir qu’en cas d’absolue nécessité et les cantons étant chargés de mettre en place les conditions d’application.

Etant en première ligne, l’association des entreprises électriques (AES), qui a son siège romand à Lausanne, a établi en décembre 2021 une feuille de route avec les priorités qu’elle a identifiées pour assurer la sécurité de l’approvisionnement en électricité. Du côté des points positifs, la Suisse dispose d’une bonne infrastructure de production et de réseau, sans oublier le fait qu’elle est fortement intégrée au réseau européen au niveau technique. Plusieurs éléments contextuels, néanmoins, font que la production électrique indigène diminuera, tandis que les importations depuis l’étranger se compliqueront. Ces faits cumulés obligent la Confédération à anticiper les tensions et à limiter les risques. Cela passe par une augmentation importante des réserves et des capacités de stockage, sans oublier l’adaptation ou l’adoption de mesures législatives permettant d’accélérer les processus.

Lors de sa séance du 16 février 2022, le Conseil fédéral a décidé de prendre des mesures pour renforcer la sécurité de l’approvisionnement en électricité. Il a chargé le Département de l’environnement, des transports et de la communication d’élaborer les dispositions nécessaires à la construction et à l’exploitation de centrales à gaz destinées à couvrir les charges de pointe. Les centrales à gaz doivent être disponibles en cas de congestion exceptionnelle et elles doivent être exploitées de manière climatiquement neutre.

Ces installations ne pourront pas voir le jour avant 2026. D’ici là, il faut trouver des solutions d’appoints, qui ont été évoquées lors d’une vaste consultation avec les représentants de la branche. Il en est ressorti la mise en place d’un nouveau système de monitoring – confié à Swissgrid – qui permettra de suivre la situation en temps réel et de déterminer la capacité d’auto-approvisionnement électrique du pays. La Confédération compte aussi accélérer le développement massif du renouvelable, en prévoyant de constituer une réserve hydroélectrique dès l’hiver 2022-2023. Les exploitants de centrales hydroélectriques à accumulation devront conserver une certaine quantité d’eau dans les lacs de retenue – contre rémunération – afin de pouvoir la mettre à disposition, si besoin.

Consommer moins et payer plus 

L’été dernier, l’Organisation pour l’approvisionnement en électricité en cas de crise - OSTRAL (lire ci-contre) - a envoyé une lettre à trente-mille grands consommateurs d’électricité dans le cadre d’une campagne d’information. L’organisation leur lance ainsi un appel pour qu’ils étudient tous les moyens d’optimiser leurs réseaux de production. De son côté, Swissmem, l’association qui représente l’industrie des machines en Suisse, très concernée, a relayé cette annonce, mais suggère aussi à la Confédération de s’engager dans une coopération internationale intensive du point de vue technique et économique. Malgré toutes ces incitations, il faut garder en tête que la consommation électrique en Suisse augmente régulièrement (+3,5% entre 2001 et 2020), selon la statistique suisse de l’électricité 2020. Ce qui est assez logique, puisque l’on constate aussi l’essor des véhicules électriques et les programmes d’encouragement de la Confédération au chauffage électrique des bâtiments (pompes à chaleur).

Reste la question que se pose non sans inquiétude l’opinion publique: que se passerait-il en cas de pénurie avérée? Nous risquons surtout de voir les prix prendre l’ascenseur, sans parler des coûts vertigineux pour l’économie. La Confédération et les acteurs devront donc aussi se pencher sur l’aspect financier du problème.

Le rôle méconnu d’OSTRAL

L’OSTRAL, ou organisation pour l’approvisionnement en électricité en cas de crise, qui était à l’origine l’Organisation de guerre des usines électriques, a un rôle aussi important que méconnu: elle est activée sur ordre du Conseil fédéral lorsqu’il s’agit de gérer une pénurie d’électricité de longue durée.

Imaginons par exemple qu’une tempête fasse tomber des pylônes électriques dans les Alpes. Une entreprise locale d’approvisionnement en électricité se chargerait de trouver une solution provisoire, le temps de réparer les dégâts. S’il y a une interruption de fourniture d’électricité de la part d’un important producteur européen, certaines régions seraient automatiquement déconnectées du réseau afin de limiter le risque du pire, celui d’une panne générale, autrement dit d’un black-out. Jusque-là, l’OSTRAL n’intervient pas. Elle ne le ferait que si la demande en électricité s’avérait supérieure à l’offre disponible pendant une longue période.

En cas d’une telle situation grave, l’OSTRAL devrait mettre à exécution les mesures ordonnées par le Conseil fédéral concernant la gestion de l’offre et de la demande. Les interventions devront être graduelles: ainsi, si la surveillance d’approvisionnement commence à devenir critique, l’OSTRAL lancerait des appels pour inciter les consommateurs à économiser l’électricité sur base volontaire. Si ces mesures ne suffisaient pas pour équilibrer la production et la consommation, on pourrait en arriver à interdire l’utilisation de certains appareils ou installations électriques ou à appliquer d’autres restrictions touchant aux exportations et au transit de l’énergie électrique. Le contingentement d’électricité et – en dernier recours – des délestages cycliques peuvent également être décidés par le Conseil fédéral, à charge pour l’OSTRAL de les faire appliquer. F. G.