Salaire minimum à Genève: champ d'application et calcul

En résumé

Le 27 septembre 2020, les Genevois ont adopté l’initiative populaire cantonale 23 frs, c’est un minimum à 58,16% des voix. La loi devrait être promulguée le 28 octobre 2020 et entrer en vigueur le 1er novembre 20201. Que prévoient les modifications de la loi sur l’inspection et les relations du travail (LIRT) adoptées dans les urnes et comment calculer ce salaire minimum de 23 francs de l’heure?

Le 27 septembre 2020, les Genevois ont adopté l’initiative populaire cantonale 23 frs, c’est un minimum à 58,16% des voix. La loi devrait être promulguée le 28 octobre 2020 et entrer en vigueur le 1er novembre 20201. Que prévoient les modifications de la loi sur l’inspection et les relations du travail (LIRT) adoptées dans les urnes et comment calculer ce salaire minimum de 23 francs de l’heure?

CHAMP D’APPLICATION DU SALAIRE MINIMUM

Le salaire minimum genevois s’élève donc à 23 francs de l’heure (art. 39K al. 1 LIRT) et s’applique aux travailleurs «accomplissant habituellement leur travail» dans le canton de Genève (art. 39I LIRT). L’enjeu sera donc de définir la notion de «lieu où les travailleurs accomplissent habituellement leur travail » ce qui, selon les cas, ne sera pas chose aisée.

À teneur de la LIRT, le siège ou la succursale de l’entreprise ne fonde pas, sur le principe, l’application de ce salaire minimum. Cela implique notamment qu’une entreprise ayant son siège social dans un autre canton, sans bénéficier d’une succursale au bout du lac Léman, et dont l’un ou plusieurs de ses employés exercent habituellement leurs activités à Genève, est soumise à l’obligation de verser un salaire horaire minimal de 23 francs aux travailleurs concernés. À l’inverse, une entreprise ayant son siège social ou une succursale à Genève, mais employant des salariés à l’extérieur du canton, n’est pas soumise à l’obligation d’un salaire horaire minimum de 23 francs pour les travailleurs qui ne sont pas habituellement occupés dans le canton de Genève.

Les nouvelles dispositions de la LIRT (art. 39L, 23 al. 2bis et al. 3) prévoient que ce plancher salarial remplace les salaires inférieurs à 23 francs de l’heure prévus par les contrats individuels de travail, les conventions collectives de travail (CCT), les usages ou encore les contratstype de travail (CTT).

Par conséquent, aucune modification du texte des contrats de travail, CCT, usages ou CTT n’est nécessaire pour que le salaire minimum soit applicable. La modification de la LIRT rend automatique le réajustement des salaires inférieurs à 23 francs de l’heure. À noter que, si les instruments précités prévoient des salaires minimaux échelonnés en fonction de la qualification des employés (par exemple, sans qualification: 20 francs de l’heure, titulaire d’un CFC: 23 francs de l’heure), la différence salariale prévue avant l’entrée en vigueur du salaire minimum voté par le peuple disparaîtra.

Dans cet exemple, les deux travailleurs concernés percevront donc le même salaire horaire: 23 francs. Le cas échéant, il reviendrait aux partenaires sociaux pour les CCT, à l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail (OCIRT) concernant les usages et à la Chambre des relations collectives de travail s’agissant des CTT, de négocier ou d’adopter de nouvelles grilles salariales. Notons que les modifications législatives votées par les Genevois n’imposent aucunement de tels échelonnements. Y procéder reviendrait à considérer qu’un salaire minimum a été voté pour l’ensemble des travailleurs soumis à ces instruments, en fonction de leurs qualifications, ce qui n’est pas la volonté du législateur.

EXCEPTIONS

Le salaire minimum adopté dans les urnes comporte quelques rares exceptions (art. 39J LIRT). Les contrats d’apprentissage et les contrats de stage «s’inscrivant dans une formation scolaire ou professionnelle prévue par la législation cantonale ou fédérale», tels que les stages de maturité professionnelle, sont exclus du champ d’application de ce salaire minimum. À notre sens, les stages obligatoires en vue de la réussite d’une formation ou menés dans le cadre de formations certifiantes devraient également être admis comme exception, que ces stages soient formellement prévus dans une loi ou qu’ils découlent de directives. Les stages de réinsertion professionnelle et sociale devraient, à notre avis, également être exemptés de salaire minimum, à l’instar de ce que le canton de Neuchâtel a prévu lors de l’adoption de son salaire minimum (art. 32c de la loi sur l’emploi et l’assurancechômage - LEmpl/NE). Dans le cas contraire, le nombre de ces places de stage, en formation ou réinsertion, pourrait drastiquement diminuer et a fortiori empêcher les personnes concernées de se former et d’intégrer ou de réintégrer le marché du travail.

Les contrats de travail conclus avec des travailleurs de moins de 18 ans révolus sont également exemptés de salaire minimum. Ainsi, les étudiants majeurs qui souhaiteraient financer leurs études en travaillant parallèlement à leur formation seraient soumis à ce minimum salarial, ce qui pourrait freiner l’embauche de ces personnes qui, bien souvent, financent leurs études à l’aide d’activités lucratives à temps partiel. Afin d’éviter de précariser cette catégorie de travailleurs, il serait bon d’étendre l’exception aux étudiants majeurs également. Le Conseil de surveillance du marché de l’emploi (CSME) et le Conseil d’Etat traiteront prochainement la question des exceptions2.

La dernière exception concerne le domaine de l’agriculture, pour lequel le Conseil d’Etat peut, sur proposition du CSME, fixer un salaire minimum inférieur à 23 francs de l’heure (art. 39K al. 2 LIRT). À ce titre, le CSME a décidé, le 12 octobre 2020, de proposer au Conseil d’Etat que les salaires minimums des secteurs de l'agriculture et de la floriculture soient identiques aux salaires inscrits dans les contrats type de travail actuellement en vigueur, soit en dessous de 23 francs de l’heure3.

CONTRÔLES ET SANCTIONS EN CAS DE NON-RESPECT

L’OCIRT et l’inspection paritaire des entreprises sont compétents pour contrôler le respect de ce salaire minimum par les entreprises (art. 39M al. 1 LIRT). En cas d’infraction, l’OCIRT peut prononcer une amende administrative allant jusqu’à trente mille francs. Le plafond de l’amende peut être porté à soixante mille francs en cas de récidive (art. 39N al. 1 LIRT).

Si des entreprises sont soumises à des usages professionnels, en particulier du fait de leur participation à un marché public, le montant maximal de l’amende s’élève à soixante mille francs (art. 45 al. 1 let. b LIRT). Dans ce cas, l’amende peut être cumulée à une décision de refus de délivrance d’une attestation de conformité aux usages, pour une durée de trois mois à cinq ans (art. 45 al. 1 let. a et al. 2 LIRT) et à l’exclusion de tous marchés publics pour une période de cinq ans au plus (art. 45 al. 1 let. c et al. 2 LIRT).

CALCULS ET DÉTERMINATION DU SALAIRE MINIMUM

Selon le texte voté, le salaire minimum correspond au salaire déterminant AVS, «à l’exclusion d’éventuelles indemnités payées pour jours de vacances et pour jours fériés» (Art. 39K al. 4 LIRT).

Les vacances et les jours fériés étant indemnisés dans le cadre de contrats de travail rémunérés à l’heure, et donc le plus souvent sur appel, cette base légale revêt une importance particulière. En effet, selon cette disposition, un travailleur payé à l’heure devra percevoir un salaire horaire de 23 francs, auxquels s’ajouteront l’indemnité vacances (8,33% pour quatre semaines de vacances) et l’indemnité pour jours fériés (0,41% pour un jour férié, par exemple) lorsqu’elle est due, soit un total d’environ 2 francs de l’heure s’ajoutant aux 23 francs minimaux.

Dans la mesure où les salariés mensualisés ne perçoivent pas d’indemnités pour vacances ou jours fériés, mais reçoivent leur salaire habituel pendant ces périodes, il n’est pas nécessaire d’ajouter un quelconque montant aux 23 francs de l’heure dus à ces travailleurs.

Cette méthode de calcul différente se justifie par le fait que les travailleurs à l’heure ne perçoivent pas de salaire lors de la prise de vacances ou de congés comme les jours fériés. En effet, le salaire afférent aux vacances et, le cas échéant, celui se rapportant aux jours fériés, est payé avant que ces congés ne soient effectivement pris, c’est-à-dire en même temps que la rémunération du travail effectué.

Cette modalité de paiement pour les travailleurs à l’heure, obligatoire à tout le moins en ce qui concerne les vacances et le 1er août, pour autant qu’il tombe sur un jour normalement travaillé4, implique la nécessité pour l’employeur d’avoir des liquidités plus importantes et immédiatement disponibles lorsqu’il emploie des travailleurs rémunérés à l’heure. Afin de limiter l’impact financier engendré par cette différence de traitement, certains employeurs seront peut-être tentés d’opter, en lieu et place du contrat de travail sur appel, pour une annualisation du temps de travail permettant le versement d’un salaire mensuel régulier et invariable représentant 23 francs de l’heure, calculé sur la moyenne des heures dues par mois, sans égard au nombre d’heures effectuées le mois en question, et offrant une certaine flexibilité dans l’organisation du temps de travail des employés5.

La détermination du salaire horaire de 23 francs inclut, quel que soit le type de contrat (rémunéré à l’heure ou au mois), un éventuel treizième salaire.

Pour reprendre l’exemple précité, soit quatre semaines de vacances (8,33%) et un jour férié (0,41%), le salaire minimum de 23 francs de l’heure sera respecté, sous réserve d’une éventuelle indexation à l’indice des prix à la consommation, en calculant comme indiqué dans le tableau 1 ci-dessous.

Autre exemple, un travailleur rémunéré à l’heure, soumis à une CCT prévoyant cinq semaines de vacances (10,64%), une indemnité pour six jours fériés de 2,27% ainsi que l’obligation d’offrir un treizième salaire, verra le salaire minimum de 23 francs de l’heure respecté, sous réserve d’une éventuelle indexation à l’indice des prix à la consommation, en calculant comme indiqué dans le tableau 2 ci-dessous.

En définitive, pour les salariés rémunérés à l’heure, il s’agit de déterminer les 23 francs minimaux, treizième salaire inclus, puis d’ajouter à ce montant les indemnités pour jours fériés et vacances.

S’agissant enfin d’un travailleur rémunéré au mois, en douze mensualités, le calcul permettant de déterminer si le salaire mensuel minimum respecte les 23 francs de l’heure peut, sous réserve d’une éventuelle indexation à l’indice des prix à la consommation, se déterminer ainsi:

23 francs x nombre d’heures hebdomadaires prévu par le contrat x 4,33 semaines en moyenne dans un mois = salaire mensuel minimum.

À titre d’exemple, le salaire mensuel brut minimum d’un employé au mois s’élève à 4182,78 francs pour quarantedeux heures hebdomadaires ou 3983,60 francs pour quarante heures hebdomadaires, soit respectivement 50 193,36 francs et 47 803,20 francs par année.

S’agissant enfin d’un travailleur rémunéré au mois, mais au bénéfice d’un treizième salaire, le calcul permettant de déterminer le salaire annuel de l’employé suit la même méthode, mais il faut ensuite diviser le salaire annuel ainsi obtenu par treize mensualités. Ainsi, le salaire mensuel brut minimum d’un employé au mois, bénéficiant de treize mensualités, s’élève à 3861,03 francs (x 13) pour quarante-deux heures hebdomadaires ou 3677,17 francs (x 13) pour quarante heures hebdomadaires. En effet, le treizième salaire est une modalité de paiement de la rémunération du travailleur, dont l’exigibilité est reportée, en général, à la fin de l’année civile.

À l’instar d’un éventuel treizième salaire, tout élément de salaire variable, tels que les bonus ou les commissions, est inclus dans le salaire minimum prévu par la LIRT. Si le respect du salaire minimum de 23 francs dépend de ce type de salaires variables, l’employeur devra veiller à procéder à des calculs réguliers de la rémunération moyenne de ses employés, au minimum chaque année, afin de vérifier la conformité des salaires versés à la nouvelle législation.

En d’autres termes, si un travailleur partiellement rémunéré à la commission bénéficie d’un salaire annuel de base s’élevant à 25 000 francs pour quarantedeux heures hebdomadaires, l’employeur devra veiller, au plus tard à la fin de l’année, à ce que le salaire mensuel moyen, soit incluant lesdites commissions, atteigne 4182,78 francs pour un travailleur payé sur douze mois ou 3861,02 francs pour un travailleur rémunéré en treize mensualités.

Enfin, la loi prévoit que: «chaque année, le salaire minimum est indexé sur la base de l’indice des prix à la consommation du mois d’août, par rapport à l’indice en vigueur le 1er janvier 2018. Le salaire minimum prévu à l’alinéa 1 n’est indexé qu’en cas d’augmentation de l’indice des prix à la consommation.» (Art. 39K al. 3 LIRT). Cette base légale soulève plusieurs questions, notamment quant à la temporalité de l’indexation. Le CSME et le Conseil d’Etat devraient prochainement traiter ces questions6.

Tableau 1

Montant brut par heure CHF 21.23 CHF 21.23
Indemnité 13e salaire 8.33% CHF 1.77
1er sous-total   CHF 23.00
Indemnité jour férié 0.41% CHF 0.09
2e sous-total   CHF 23.09
Indemnité vacances 8.33% CHF 1.92
Total pour une heure   CHF 25.01

Tableau 2

Montant brut par heure CHF 21.23 CHF 21.23
Indemnité 13e salaire 8.33% CHF 1.77
1er sous-total   CHF 23.00
Indemnité jour férié 2.27% CHF 0.52
2e sous-total   CHF 23.52
Indemnité vacances 10.64% CHF 2.50
Total pour une heure   CHF 26.02
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1, 2, 3 Communiqué de presse du Conseil de surveillance du marché de l’emploi du 12 octobre 2020 (https://www.ge.ch/document/mise-oeuvre-loi-salaireminimum-canton-geneve)
4 ATF 136 I 290
5 Cf. Entreprise Romande, «Annualisation du temps de travail: une alternative au travail sur appel?», 13 mars 2020, p.12
6 Communiqué de presse du Conseil de surveillance du marché de l’emploi du 12 octobre 2020 (https://www.ge.ch/document/mise-oeuvre-loi-salaireminimum-canton-geneve)