Vivre avec les pénuries

En résumé

Le phénomène de pénurie ne va pas s’arrêter. Il faudra apprendre à vivre avec. Et pour longtemps. Ce scénario catastrophe n’est pas écrit par des militants anticapitalistes, mais par des économistes de Bank of America. Dans un rapport publié il y a quelques semaines, plusieurs experts de l’institution financière ont évalué les risques pour l’économie mondiale liés à des pénuries multiples et intenses. Ces pénuries touchent déjà et toucheront de plus en plus tous les secteurs d’activité. Ici, la conjoncture n’explique pas tout. Des causes structurelles sont bel et bien également à l’origine des manques constatés dans les chaînes de production sur toute la planète. La Suisse n’est pas épargnée. Les situations constatées dans l’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux (industrie MEM), dans l’immobilier et la construction, dans la branche technologique ou dans le commerce de matières premières sont là pour le confirmer.

Le monde ne suffit pas - Introduction à la rareté. Voilà le titre, presque «jamesbondien», choisi par Haim Israel et son équipe d’analystes stratégiques de Bank of America (BofA Securities) pour mettre en avant leur travail et leurs recherches, qui occupent cent trente-cinq pages d’un rapport qui ne ferme pas les yeux devant des réalités désagréables. «Nous manquons de… tout!» La conclusion des auteurs de l’étude – outre Haim Israel, citons Félix Tran, Martyn Briggs et Salma Kabbaj – est sans appel, alors même que leurs analyses se basent sur des données obtenues avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. «D’ici à 2030, nous aurions besoin de doubler les ressources présentes sur notre planète pour suivre notre rythme d’utilisation actuel. Aujourd’hui, moins de 1% de l’eau dans le monde est potable et disponible pour les populations humaines; dès lors, d’ici à 2040, l’eau douce pourrait manquer.

De plus, des métaux clé comme le lithium et le nickel sont susceptibles d’enregistrer un déficit structurel dès 2024 et nous pourrions atteindre le «pic de phosphore» d’ici à 2030, ce qui aggraverait la pénurie alimentaire (de nombreux systèmes agricoles dépendent en effet de l’apport d’engrais qui utilisent des roches phosphatées - ndlr). Cependant, ce ne sont pas seulement les ressources naturelles qui potentiellement s’épuisent. Nous sommes également confrontés à une pénurie de capital humain et de technologie.»

UN PROBLÈME DÉMOGRAPHIQUE AUSSI

Autre sujet d’inquiétude pour les spécialistes de BofA Securities: la démographie. «Nous avons déjà atteint le «pic de la jeunesse», les grands-parents étant plus nombreux que les petits-enfants dans le monde. Les taux de natalité aux ÉtatsUnis et en Chine sont les plus bas jamais enregistrés.» Une des conséquences de sociétés vieillissantes? Les besoins et les coûts de santé explosent. Le «capital santé» devient plus que jamais une richesse à part entière. «Nous passons actuellement environ huit ans de notre vie à être malade, mais seulement 3% des dépenses mondiales de santé sont consacrées à la prévention des maladies.» D’ici à 2050, une personne sur six aura plus de soixante-cinq ans et l’espérance de vie mondiale atteindra 83 ans d’ici à 2100, mais une longue vie ne signifie pas nécessairement une vie en bonne santé. Le nombre de malades souffrant de pathologies graves et de longue durée est ainsi toujours plus élevé. La demande de soins augmente subséquemment, mais, dans le même temps, les collaborateurs et les collaboratrices spécialistes de la santé sont toujours moins nombreux sur le marché du travail. «Quelque 7,2 millions de professionnels de la santé manquaient dans les établissements médicaux en 2021. Ce chiffre atteindra 12,9 millions d’ici à 2035.» D’une façon plus générale, la rareté des compétences dans tous les milieux économiques devient une réalité très coûteuse. Haim Israel et son équipe vont plus loin: le phénomène de pénuries ne s’arrête pas aux ressources tangibles. «D’ici à 2025, nous interagirons avec un appareil connecté toutes les dix-huit secondes, et d’ici à 2030, nous passerons (peut-être) plus de temps dans le métaverse que dans le monde réel. Avonsnous assez de temps?»

SOLUTIONS POUR LE FUTUR

Signalons qu’il ne faut pas s’attendre à une amélioration de la situation. Les auteurs affirment en effet que le déséquilibre actuel entre l’offre et la demande des ressources de notre planète est structurel et ne fera qu’empirer, augmentation des prix et des inégalités à la clé. «Alors que la population mondiale a plus que doublé dans la seconde moitié du XXème siècle, la production de céréales alimentaires a été multipliée par trois, la consommation d’énergie a été multipliée par quatre et l’activité économique a été multipliée par cinq. Il est juste de supposer que nous continuerons à vivre au-dessus de nos moyens. En conséquence, un monde en transformation a besoin de solutions transformatrices – pas seulement des solutions pour cultiver, exploiter ou produire plus. Nous pensons que les «technologies de la rareté» (celles liées au recyclage par exemple -ndlr), l’économie circulaire et le capital naturel sont quelques-unes des réponses qui peuvent aider à résoudre le problème de pénuries».

Les experts de BofA Securities notent d’ailleurs que «là où il y a pénurie, il y a des opportunités d’investissements» dans des branches aussi diverses que le recyclage des métaux, les innovations liées à la durabilité ou à la préservation de la biodiversité et de l’air pur, les edtechs, les infrastructures hydrauliques, les technologies de la santé et du bien-être, les recherches en matière de fertilité humaine, les semi-conducteurs, l’agriculture verticale, l’exploitation minière en haute mer et même sur des astéroïdes, l’aquaculture océanique ou la séquestration du dioxyde de carbone.


Le saviez-vous? Les informations qui inquiètent

Les auteurs du rapport Le monde ne suffit pas - Introduction à la rareté, des spécialistes de Bank of America, listent une série de faits qui invitent les lecteurs et les lectrices à prendre conscience de l’ampleur des pénuries actuelles et de leur diversité au niveau mondial. Tour d’horizon de quelques réalités plus ou moins connues et inquiétantes pour l’avenir.

  • Si vous comparez l’histoire de la Terre à une année civile, les humains n’existent que depuis 37 minutes, mais ont utilisé un tiers de toutes les ressources naturelles de la planète au cours des 200 dernières millisecondes (0,2 seconde).
  •  99% des éléments que nous récoltons, extrayons, transformons et transportons sont jetés dans les six mois. En 2020, pour la première fois de l’histoire, le poids des matières fabriquées par l’homme a dépassé celui de la biomasse naturelle.
  • 85 jours, plus de 1000 étapes, plus de 40 000 kilomètres parcourus et 70 passages de frontière sont nécessaires pour produire une seule puce électronique. La Chine a dépensé plus d’argent pour importer des semi-conducteurs que pour l’importation de pétrole en 2020.
  • Une usine de semi-conducteurs de taille moyenne consomme à peu près l’équivalent de la consommation quotidienne d’eau d’une ville de 58 000 habitants.
  • Nous générons environ 50 millions de tonnes de déchets électroniques chaque année... ce qui équivaut à jeter 1000 ordinateurs portables chaque seconde.
  • Nous passons un tiers de notre temps d’éveil à regarder des écrans et à glisser nos doigts sur des applications, soit plus de 11 ans dans une vie, dont 3 ans passés sur les seuls médias sociaux. Les Sud-Coréens pourraient disparaître d’ici à 2750 et les Japonais d’ici à l’an 3000 en raison du «pic de jeunesse» et de la baisse des taux de fécondité.
  • Il y aura plus de grands-parents que d’enfants en Amérique du Nord en 2022, c’est-à-dire plus de personnes âgées de plus de 65 ans que d’enfants et d’adolescents de moins 15 ans.
  • Si la pénurie de main-d’œuvre suit son cours, 85,2 millions d’emplois seront vacants d’ici à 2030 au niveau mondial.
  • Un milliard de personnes devront se reformer d’ici à 2030, soit un tiers de tous les emplois dans le monde, à cause des bouleversements technologiques.
  • Chaque seconde, l’équivalent d’un terrain de football de forêt est abattu sur la planète.
  • 15% de l’eau douce des États-Unis est gaspillée chaque année à cause de fuites de canalisations.
  • La planète devra produire plus de nourriture au cours des quarante prochaines années que tous les agriculteurs n’en ont récolté au cours des 8000 dernières années.
  •  Au niveau mondial, seuls 2% des emballages plastiques sont effectivement recyclé

Les pénuries mondiales de blé ou d’huile entraînent plusieurs conséquences pour la Suisse

La coopérative réservesuisse représente une plateforme d’observation idéale pour connaître les répercutions des pénuries mondiales de quelques matières premières en Suisse. En effet, cette organisation d’entraide du secteur privé réunit cent deux entreprises membres, qui, dans le cadre de l’approvisionnement économique du pays, sont tenues de détenir des stocks obligatoires d’aliments et de fourrages. Derrière cette contrainte légale – incarnée par la loi fédérale sur l’approvisionnement économique du pays, il y a l’idée de le préserver d’un danger: le manque. Les aliments concernés par l’action de réservesuisse sont, notamment, les céréales, le sucre, le riz, l’huile et les graisses comestibles.


 

Hans Häfliger est le directeur général de réservesuisse. Pour lui, plusieurs phénomènes se rencontrent actuellement, expliquant les tensions présentes sur le marché des matières premières. D’abord, la crise sanitaire a bouleversé les chaînes logistiques et, hier comme aujourd’hui, plusieurs ports de marchandises essentiels ont été ou sont toujours bloqués dans le monde - en Chine, aux Etats-Unis ou en Amérique latine. Hans Häfliger rappelle aussi qu’en 2021, un porteconteneurs géant s’est échoué dans le canal de Suez, bloquant pendant plusieurs jours cet important lieu de passage pour les cargos.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie entraîne aussi des répercussions majeures. Cette guerre fait monter le prix du blé à des niveaux jamais atteints auparavant, tandis que l’huile de tournesol subit les mêmes conséquences (l’Ukraine exporte cette huile vers l’ouest depuis les années 2010). En Suisse, cette montée des prix n’a pas les mêmes impacts selon les marchandises. Pour le blé, le pays doit s’accommoder de prix élevés, mais ne doit pas craindre pour les quantités importées. En effet, le blé destiné à la consommation humaine provient en majorité de la production nationale, tandis que le fourrage est importé, mais ne vient pas d’Ukraine. L’huile de tournesol? Les stocks stratégiques ont été modifiés à la suite de la montée des prix. Cette huile représentait deux tiers des stocks auparavant et ce pourcentage a été réduit temporairement au profit de l’huile de colza. «Ce changement permet de nous donner plus temps pour trouver d’autres filières d’approvisionnement.»

«LA SUISSE RESTERA DÉPENDANTE DES IMPORTATIONS»

Hans Häfliger souligne que les stocks stratégiques constituent un atout pour la Suisse: cela lui permet d’atténuer les effets parfois délétères liés à l’évolution du marché mondial. Cependant, le directeur général de réservesuisse se montre plus critique concernant le mode de calcul actuel du fonds de garantie destiné à couvrir les frais de stockage. Le prix du blé étant au plus haut, ce mode de calcul oblige aujourd’hui réservesuisse, pour diverses raisons techniques, à fonctionner en utilisant ses réserves financières. «Nous pouvons tenir vingt-quatre mois ainsi, mais pas plus.»

Que se passera-t-il à l’avenir? Faut-il s’habituer à vivre avec des pénuries? «Dans tous les cas, le prix du transport de marchandises demeurera haut et les contraintes logistiques seront toujours présentes à moyen terme», prédit Hans Häfliger. «La Suisse restera dépendante des importations et des accords commerciaux qu’elle peut passer avec d’autres pays. Dans cette perspective, il est important que la Suisse préserve, par exemple, la qualité de ses liens avec l’Union européenne. Notons aussi que le pays doit prendre garde à conserver sur son sol des capacités de transformation des matières premières, qui se concrétisent, notamment, par la présence de moulins ou de raffineries dans certains cantons.» 


«Dans l’industrie MEM, beaucoup d’entreprises n’arrivent pas à finir leurs produits»

Philippe Cordonier est responsable pour la Suisse romande de Swissmem, l’association faîtière des PME et des grandes entreprises de l’industrie suisse des machines, des équipements électriques et des métaux (industrie MEM). Il explique quelles sont les conséquences de différentes pénuries mondiales pour les membres de cette organisation.

Le phénomène de pénurie touchet-il aujourd’hui le secteur de l’industrie MEM en Suisse?

Oui, nous le constatons. Toutefois, notre industrie est très diversifiée et, dès lors, tous nos membres ne sont pas touchés de la même façon. Les pénuries concernent en général les matières premières et certains composants électroniques (citons, par exemple, les câbles ou autres pièces en caoutchouc ou en plastique). Les raisons qui expliquent ces pénuries sont nombreuses. En effet, plusieurs crises ou événements se superposent: la forte reprise économique constatée après la fin de la pandémie, un phénomène actuel de surstockage observé chez les consommateurs (phénomène qui amplifie la poussée de la demande), la guerre en Ukraine qui provoque une augmentation des prix de certains produits (et qui renforce, chez les consommateurs, l’envie de stocker avant que les prix atteignent de nouveaux sommets), la crise sanitaire qui provoque, encore aujourd’hui, des ruptures dans la chaîne logistique, en Chine notamment.


 

Quelles sont les principales conséquences des pénuries pour le secteur de l’industrie MEM en Suisse?

Beaucoup d’entreprises n’arrivent pas à finir leurs produits. Le niveau des stocks a également augmenté – pouvant entraîner des problèmes de financement et des déséquilibres budgétaires –, tandis que des retards de livraisons sont enregistrés.

Compte tenu des pénuries, quelles sont les perspectives économiques, en 2022 et 2023, du secteur de l’industrie MEM?

Les carnets de commandes, aujourd’hui, sont pleins. Toutefois, les entreprises de l’industrie MEM n’ont paradoxalement pas les moyens de pleinement profiter de cette embellie économique. Pourquoi? En raison des pénuries qui compliquent la donne et augmentent les coûts de production dans un secteur d’activité où les marges sont généralement faibles. Or, la demande pourrait être moins forte à la fin de l’année ou en 2023. Et le phénomène de pénuries ne va pas cesser. Nous interrogeons régulièrement nos membres à ce sujet et, à chaque fois, les entreprises repoussent la date où elles envisagent la fin des manques en composants ou en matières premières. 


Témoignages

Agnès Petit, fondatrice et directrice de la société Mobbot SA sise à Fribourg et active dans l’industrie de la construction (Mobbot SA commercialise une technologie qui permet de contrôler le procédé de projection de béton afin de minimiser son impact environnemental), s’est exprimée sur le phénomène de pénuries dans le cadre de la conférence Forward qui a eu lieu à l’EPFL au début du mois: «Notre entreprise rencontre surtout une pénurie de talents pour compléter nos équipes. Les compétences en matière d’informatique, de technologies digitales ou de robotique sont rares. Il existe une forte concurrence entre les employeurs. Dans cette perspective, cette pénurie de compétences implique d’offrir des salaires compétitifs et également d’élargir notre champ de recherche. Ainsi, un de nos collaborateurs a actionné son réseau en Slovaquie et dans les pays de l’Est pour nous aider à recruter».

Dominique Valantin, market development manager chez Hybrid SA, société basée dans le canton de Neuchâtel, active dans la fabrication et la commercialisation de produits électroniques de haute technologie et dont la clientèle est constituée d’autres entreprises, s’est lui aussi exprimé sur le thème des pénuries dans le cadre de la conférence Forward qui a eu lieu à l’EPFL au début du mois: «Dès le début de la crise sanitaire, nous avons rencontré des problèmes d’approvisionnement pour certains composants et certaines matières premières. Nous avons alors décidé de téléphoner immédiatement à nos vingt principaux clients pour trouver avec eux des réponses adaptées, par exemple la planification d’achats à l’avance. Nous avons également changé nos méthodes de travail en tentant de nous rapprocher encore plus des besoins de nos clients et en adoptant des processus internes et des solutions agiles».

Roméo Guedou est le fondateur et le directeur de l’entreprise Horions, spécialiste des technologies d’affichage dynamique et interactif et sise à Bulle dans le canton de Fribourg. Sa société travaille avec la Chine dans le cadre de la production de différents appareils électroniques. Dans cette perspective, la société a subi les conséquences des pénuries qui frappent l’économie mondiale depuis plusieurs mois. «Notre matériel nécessite l’utilisation de semi-conducteurs et de cartes mères. Il y a quelques mois, nos fournisseurs n’ont plus été en mesure d’obtenir ces composants en nombre suffisant. Dès lors, nous avons dû nous adapter et trouver des solutions en prenant contact avec d’autres partenaires. Tout cela prend du temps et complique bien entendu le travail quotidien. En outre, les pénuries ont un impact sur le prix et les délais des transports. Tout est plus difficile, mais il faut savoir faire face. Nous avons ainsi mis en place des stocks pour envisager l’avenir plus sereinement. Bien sûr, et cela vaut pour l’économie suisse dans son ensemble, il faut espérer que l’inflation actuelle ne se traduise pas par une crise de la demande à moyen terme.»


L’immobilier et la construction subissent des pénuries handicapantes

La Société suisse des entrepreneurs (SSE), organisation faîtière qui défend les entreprises du bâtiment, de la construction et du génie civil, a lancé un message d’avertissement il y a quelques semaines, à l’occasion de sa rétrospective annuelle. La branche professionnelle qu’elle représente enregistre certes des bonnes nouvelles et a retrouvé son niveau d’activité économique d’avant la crise sanitaire, mais «les problèmes de livraison et les prix élevés de nombreux matériaux de construction restent un important facteur d’incertitude». Et la SSE de poursuivre son propos: «Si les variations de prix des matériaux sont un phénomène habituel, le secteur doit faire face à une situation inédite caractérisée par une forte hausse simultanée du prix de l’acier, du plastique et du bois, associée à une pénurie de ces derniers. Soixante pourcents des entreprises de construction ont été touchés, du moins temporairement, par des difficultés d’approvisionnement durant les derniers mois».

LA DEMANDE DÉPASSE L’OFFRE

De récentes études de Credit Suisse concernant le marché immobilier national vont dans le même sens que ces constats. Un premier rapport de mars 2022 mentionne, par exemple, que le phénomène de pénurie s’observe déjà sur le marché immobilier lui-même, avant de se manifester du côté de la construction: «Bien que les exigences strictes en matière de financement limitent toujours plus le nombre de ménages à même d’accéder à la propriété, la demande réelle dépasse largement l’offre. Compte tenu de l’évolution attendue du côté de l’offre et de la demande, cette situation ne devrait pas changer de sitôt». Concernant la branche du bâtiment, les spécialistes de Credit Suisse notent, dans une autre étude publiée ce mois de juin, que «les effets exceptionnels de la pandémie et de la guerre en Europe de l’Est laissent aussi leurs traces (…). En 2021 déjà, la raréfaction d’importants matériaux de construction avait entraîné de fortes hausses de prix sur les chantiers suisses. En octobre 2021, le renchérissement de la construction de bâtiments atteignait déjà 4,6% par rapport à l’année précédente, soit la plus forte hausse de prix depuis le début des mesures en 1998. Ce renchérissement s’est certainement poursuivi: au cours des dernières semaines, les prix de métaux industriels comme l’acier d’armature et l’aluminium ont véritablement explosé. Les anciens du secteur rapportent qu’ils n’avaient encore jamais connu un tel renchérissement dans le bâtiment. Si le report de projets entiers par manque de matériaux de construction est jusqu’à présent resté exceptionnel, les maîtres d’ouvrage doivent se préparer à de nouvelles augmentations et de fortes fluctuations des prix et des délais».


 

BAISSE DE L’OFFRE DE FERRAILLE

Fredy Hasenmaile, responsable de l’analyse immobilière à Credit Suisse, confirme que l’acier d’armature, les produits en aluminium et les panneaux de bois sont actuellement rares et, partant, chers. Il signale en outre des liens inattendus entre différents phénomènes de pénuries. Par exemple, «la faible production de voitures neuves en Allemagne en raison du manque de semi-conducteurs entraîne une baisse de l’offre de ferraille, matière première à partir de laquelle les barres d’armature sont fabriquées. En conséquence, le prix de ces barres d’armature a explosé». Face aux pénuries et aux prix qui deviennent plus élevés, le spécialiste de Credit Suisse anticipe un possible ralentissement de l’activité de construction. «Certains projets de construction deviennent tout simplement moins rentables, ce qui va aggraver la pénurie de logements dans plusieurs régions du pays.»