Histoire de l’assurance chômage et couverture des indépendants

En résumé

La crise du Covid-19 que nous traversons actuellement engendre d’innombrables défis de toute nature. Dans le domaine de l’économie, elle pose notamment la question du traitement des indépendants et des dirigeants d’entreprise, que le droit fédéral en vigueur ne protège pas. L’occasion de rappeler l’historique de leur situation en matière de sécurité sociale, et plus particulièrement de chômage. 

La crise du Covid-19 que nous traversons actuellement engendre d’innombrables défis de toute nature. Dans le domaine de l’économie, elle pose notamment la question du traitement des indépendants et des dirigeants d’entreprise, que le droit fédéral en vigueur ne protège pas. L’occasion de rappeler l’historique de leur situation en matière de sécurité sociale, et plus particulièrement de chômage. 

C’est avant tout pour offrir une protection aux travailleurs salariés que la protection sociale s’est développée en Suisse. La notion de chômage apparaît à la fin du XIXe siècle, alors que le pays est cours d’industrialisation et connaît une période de crise. Les syndicats créent les premières caisses chômage, destinées exclusivement à leurs membres. La réticence face à un tel projet était suffisamment importante pour que l’on ne songe pas à y inclure les indépendants. Puis la Première Guerre mondiale éclate, et ses ravages contribuent à l’appauvrissement de la population. La Suisse traverse une crise économique profonde et les tensions sociales sont vives. Les pouvoirs publics sont appelés à renflouer financièrement les caisses syndicales, mises à mal par cette période troublée. L’idée d’une assurance-chômage fait alors son apparition. Même si cette intervention étatique en faveur des syndicats n’est pas forcément du goût des associations patronales, celles-ci ne s’y opposent pas, car la mesure  permet de garantir le travail régulier et de maintenir un niveau de main-d’œuvre qualifiée. La première loi chômage, non obligatoire, entre en vigueur en 1924.

Un autre système entre les deux guerres

C’est surtout la grande crise des années 1930 qui va voir la multiplication des initiatives cantonale instaurant des caisses publiques. Un processus est en marche, qui aboutit à l’entrée en vigueur en 1951 de la loi fédérale sur l’assurance-chômage et l’indemnité en cas d’insolvabilité (LACI), toujours actuelle. Celle-ci reste alors facultative et seule une minorité de salariés est couverte contre le risque de chômage. La LACI ne deviendra obligatoire qu’au sortir de la crise pétrolière, en 1977, à la faveur d’un arrêté fédéral urgent (AFU), puis définitivement en 1984, lors d’une modification de la LACI. La protection chômage telle que nous la connaissons actuellement est donc relativement récente. Elle n’est conçue que pour protéger les salariés; les indépendants en sont exclus. 

Si la LACI ne prévoit pas d’inclure les indépendants sous sa protection, un autre système a toutefois été imaginé entre les deux guerres pour éviter à la population de se retrouver dans l’indigence. C’est l’assurance perte de gain (APG). Constatant que les mobilisés en temps de guerre ne pouvaient plus subvenir aux besoins de leur famille et dans le but d’éviter les tensions sociales que cette situation d’appauvrissement avait déjà engendrées lors de la Première Guerre mondiale, cette assurance a été construite pour combler les pertes de gain des soldats, indépendamment de leur statut de salarié ou d’indépendant. C’est ainsi que sont nées les caisses de compensation, dont la CIAM, caisse interprofessionnelle pour allocations aux mobilisés. Ce n’est que plus tard que ces caisses ont inspiré, au vu de leur succès, la création de notre système de retraite. Aujourd’hui, les APG servent toujours à financer le service au sein de l’armée suisse, lequel s’est considérablement réduit au cours des décennies, et couvrent également la maternité. 

Lumière sur les cas précaires

Hormis dans le cadre de fonctions militaires, les indépendants, qui représentent près de 13% de la population active suisse, ne sont donc pas couverts contre le chômage. La perte de revenu est considérée comme faisant partie du risque entrepreneurial. La question de leur soumission à la LACI a été envisagée plusieurs fois, mais le législateur y a à chaque fois renoncé, pour divers motifs de natures tant économique que technique. Un rapport paru en 2000 rappelait la difficulté à évaluer le risque de chômage pour une personne ayant la possibilité d’influer directement sur la marche des affaires de son entreprise, mais aussi sur son revenu. La Constitution, en son article 114, prévoit certes que les indépendants peuvent s’assurer à titre facultatif. Mais aucune assurance ne propose une telle couverture, qui intéresserait prioritairement les mauvais risques et proposerait par conséquent des primes très élevées. En l’état actuel, les personnes qui cessent l'exercice d'une activité indépendante (art. 9 LAVS et art. 12 LPGA) ne sont pas couvertes contre le risque de chômage. Les 60% d’entre eux qui sont organisés en société en nom propre sont tout simplement exclus de la LACI. Ils ne peuvent prétendre à des prestations que s’ils ont cotisé comme salarié durant une année entière au cours de quatre dernières années d’activité. Les 40% restants sont dirigeants-salariés de leur propre entreprise (Sàrl, SA) et cotisent quant à eux à l’assurance-chômage (AC)  comme n’importe quel employé. Ils n’y ont pas droit pour autant. En effet, toute personne occupant une position assimilable à celle de l’employeur ne peut pas bénéficier des prestations de l’assurance-chômage. Elle ne pourra y accéder que si elle cesse d’avoir cette position, en vendant son entreprise ou lors d’une faillite. 

La crise du Covid-19 a mis en lumière la situation très précaire des indépendants - quelle que soit la structure de leur entreprise - qui subissent de plein fouet le très fort ralentissement de leur activité. Des mesures ont été prises pour prendre en compte ces situations particulières, de façon partiellement satisfaisante. Notre Fédération poursuit son action auprès des autorités pour faire entendre la voix de ses membres et obtenir une indemnisation acceptable, justifiée par la situation exceptionnelle que nous vivons. Elle communiquera auprès de ses membres les décisions des autorités, comme elle le fait depuis le début de la crise. 

Une fois celle-ci passée, il s’agira de réfléchir à une évolution de notre système. Il est sans doute trop tôt pour faire des propositions concrètes et l’on aura sans doute besoin d’un minimum de recul pour prendre les décisions les plus adaptées. On peut d’ores et déjà imaginer une articulation autour d’un fonds temporaire d’aide d’urgence, débloqué par le Conseil fédéral ou par le parlement, qui permettrait de limiter l’impact d’une crise majeure sur notre économie. Reste à en définir les contours, ainsi que le financement.