Intelligence artificielle: un défi pour l'économie suisse

En résumé

Le 12 février dernier, le Conseil fédéral a confirmé le rôle de Martin Vetterli à la tête de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) pour quatre ans supplémentaires. 

Le 12 février dernier, le Conseil fédéral a confirmé le rôle de Martin Vetterli à la tête de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) pour quatre ans supplémentaires. Le Conseil fédéral appuie sa décision notamment sur le fait que l’EPFL a, au cours du premier mandat de Martin Vetterli, «développé son rôle d’inspiratrice et de promotrice de l’innovation au profit de l’économie et de l’ensemble de la société». Grâce à quoi? Grâce à «un effort soutenu en recherche fondamentale, un renforcement ciblé dans les disciplines liées à la durabilité et à l’énergie ainsi que dans les domaines de la robotique, de la digitalisation, de l’imagerie et de l’intelligence artificielle». Ce dernier domaine, l’intelligence artificielle (IA), mérite un coup de projecteur particulier. Il est incontournable pour l’avenir de la Suisse. En effet, au-delà des recherches menées par l’EPFL, tous les secteurs d’activité du pays subissent ou vont subir les développements de l’IA dans les prochaines années. Il faut s’y préparer. Dans cette perspective, un rapport interdépartemental vient d’être rédigé sous la direction du Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche (DEFR) et du Secrétariat d'Etat à la formation, à la recherche et à l'innovation, (SEFRI). Des stratégies nationales sont mises en place pour accompagner efficacement tous les acteurs de l’économie et de l’innovation.

«A l’avenir, les relais de croissance ne manquent pas. Les ordinateurs quantiques s’apprêtent à faire exploser les capacités de calcul au moment où l’internet des objets multiplie les données pour les nourrir.» Voilà ce qu’affirme le spécialiste d’IBM Jean-Philippe Desbiolles, auteur en 2019 du livre L’IA sera ce que tu en feras – Les 10 règles d’or de l’intelligence artificielle, quand on l’interroge sur les espoirs qui naissent autour du potentiel économique et social supposé des algorithmes et des «services cognitifs».

Le futur semble donc lumineux pour l’intelligence artificielle (IA), mais à quelques conditions: «On fait de l’IA un sujet technologique, alors que c’est un sujet humain. On lui attribue un effet magique, quand sa performance est liée à son utilisation». A l’aune de cet avertissement, la Suisse est-elle prête pour faire face aux défis de l’IA et pour promouvoir une «bonne utilisation» de celle-ci? La réponse est «oui» pour le Conseil fédéral, qui s’est exprimé sur le sujet ces dernières semaines: «La Suisse bénéficie de bonnes conditions pour développer des applications d’IA et relever les défis de cette technologie». Les autorités politiques souhaitent donc rassurer toutes les personnes et toutes les entreprises concernées par les avancées de l’intelligence artificielle sur le territoire national.

Cette prise de parole fait suite à la publication, voulue par le Conseil fédéral, d’un rapport interdépartemental consacré aux Défis de l’intelligence artificielle. Cette étude de décembre 2019 sert de base pour annoncer les lignes stratégiques qui vont désormais être fixées d’ici au printemps prochain. Le but est «de créer un cadre optimal permettant à la Suisse de s’imposer comme l’un des pays leaders pour l’innovation et la recherche et développement sur l’IA. Parallèlement, il s’agit d’identifier les risques liés aux applications d’IA et de les atténuer par des mesures prises en temps utile». Toutefois, d’une façon générale, le cadre juridique suisse est d’ores et déjà «approprié et suffisant» pour répondre aux défis inédits soulevés par l’IA. Les principes juridiques généraux pertinents sont en effet généralement formulés de manière technologiquement neutre, de sorte qu'ils peuvent également être appliqués aux systèmes d’IA.

Dans le détail, le rapport Défis de l’intelligence artificielle donne un aperçu des mesures existantes en lien avec l’IA. Il essaie aussi, en se fondant sur les connaissances scientifiques disponibles, d’évaluer «des éventuels champs d’action émergents» et de mener une réflexion «sur une utilisation transparente et responsable de l’intelligence artificielle». Concrètement, l’étude recense les chances et les défis de l’IA à travers tous les secteurs de l’administration fédérale et ouvre la discussion sur une éventuelle nécessité d’action à l’échelon fédéral. Il s’articule autour des travaux menés par les offices compétents sur des défis spécifiques de l’IA dans dix-sept domaines thématiques et politiques de la Confédération.

La Suisse se trouve dans une bonne position de départ

«Aujourd'hui, l’IA n’est pas comparable à l’intelligence humaine. Néanmoins c’est une technologie qui crée de nouveaux types d’applications et qui entraîne donc de grands défis», explique Christian Busch, conseiller scientifique de l’unité Innovation du Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation. Il poursuit: «La Confédération, ainsi que les acteurs des domaines de l’industrie et de la recherche, se sont déjà largement intéressés à cette question et ont réagi. La Suisse se trouve donc dans une bonne position de départ. Cependant, le rythme du développement est rapide. Les défis doivent donc continuer à être suivis de près afin que la Confédération puisse y répondre efficacement si nécessaire». Mais de quoi parle-t-on exactement quand on mentionne «l’intelligence artificielle»? «Il n’existe aucune définition universelle et acceptée par tous de l’intelligence artificielle», prévient le rapport interdépartemental commandé par le Conseil fédéral. Cette étude, qui se penche non pas sur la technologie proprement dite, mais sur les applications qu’elle permet aujourd’hui ou dans un avenir proche, préfère dès lors «caractériser» plutôt que «définir » l’IA par divers éléments structurels liés à l’utilisation des applications actuelles des systèmes d’IA (lire encadré cicontre, en haut).

Au-delà de ces considérations sémantiques, pour les auteurs du rapport interdépartemental comme pour le Conseil fédéral, l’économie et la société ont beaucoup à gagner en soutenant le développement de l'IA qui «possède un important potentiel d’innovation et de croissance ». Le développement des médicaments, la recherche médicale, la surveillance en temps réel des machines, les processus de production ou la cybersécurité constituent les premiers secteurs concernés par les progrès attendus. Dans cette perspective, Christian Busch précise que la possibilité d’utiliser l’IA de façon optimale «nécessite des investissements importants, des connaissances spécifiques et du personnel qualifié». L’IA dépend également de la possibilité d’utiliser les données présentes dans la sphère sociale et économique ou sur internet. «L’un des plus grands défis est la disponibilité des données et les questions de protection de ces dernières.» En outre, pour Christian Busch, il existe des domaines dans lesquels les décisions ne peuvent pas être prises automatiquement (c'est-à-dire sans intervention humaine). «Il s’agit notamment de l’utilisation de l’IA par l’Etat ou dans des décisions éthiquement difficiles, comme en médecine. Ces questions doivent être prises en compte par les entreprises.» L’utilisation de l’IA dans le secteur des médias ou les implications de l’IA pour le droit international représentent d’autres situations où la technologie et l’éthique doivent s’accorder. Le Conseil fédéral souhaite prendre en compte tous ces aspects pour définir sa politique et sa stratégie dans les années à venir en misant beaucoup sur la recherche, l’innovation et la formation.