La protection contre le licenciement abusif des travailleurs âgés: état des lieux

En résumé

La protection contre le licenciement abusif des travailleurs âgés n’est pas une nouvelle notion, puisqu’elle s’est développée depuis quelques années déjà, au fil des décisions rendues en la matière par le Tribunal fédéral et les différentes juridictions cantonales. Le Tribunal fédéral est toutefois revenu sur sa jurisprudence dans un dernier arrêt rendu récemment.

LE LICENCIEMENT D’UN TRAVAILLEUR ÂGÉ EST-IL FORCÉMENT ABUSIF?

Le principe de la liberté de résilier prévaut en droit suisse. Il n’y a en général pas besoin d’un motif particulier pour résilier un contrat de travail, sous réserve de l’interdiction de l’abus de droit.

L’article 336 du Code des obligations énumère toutefois une liste non exhaustive de motifs rendant un congé abusif.

Le licenciement d’un travailleur en raison de son âge est une raison inhérente à la personnalité, rendant le congé abusif, à moins que cette raison n’ait un lien avec le rapport de travail ou ne porte sur un point essentiel un préjudice grave au travail dans l’entreprise1.

Qu’en est-il si un travailleur âgé n’est pas licencié en raison de son âge, mais sur la base d’un motif objectif non abusif, comme par exemple en raison de difficultés rencontrées dans le cadre de l’exécution de ses tâches? Le fait d’avoir un certain âge rend-il automatiquement le licenciement abusif? Les principes suivants peuvent être dégagés de la jurisprudence du Tribunal fédéral:

le travailleur âgé (à partir de 55 ans selon les décisions rendues) doit disposer d’une grande ancienneté (dès onze ans selon les décisions rendues) pour se prévaloir d’une protection spécifique, mais le Tribunal fédéral ne fixe pas d’âge minimum pour pouvoir être qualifié de travailleur âgé. Dans chaque cas, le critère de l’âge est analysé conjointement à celui de l’ancienneté;

le licenciement d’un travailleur âgé entraîne un devoir d’assistance ou de protection plus élevé de la part de l’employeur, lequel doit procéder avec une retenue accrue et avoir des égards particuliers envers le travailleur2.

Il a été reproché par exemple à l’employeur:

de n’avoir ni procédé à un entretien préalable, ni recherché de solution sociale contractuelle, avant de licencier un travailleur de 63 ans avec quarante-quatre ans d’ancienneté peu avant la retraite alors même que le fonctionnement de l’entreprise ne commandait pas une telle mesure3;

de ne pas avoir eu assez d’égards envers un employé de 64 ans certes démotivé, mais dont le travail accompli était suffisant. Les égards consistent par exemple à informer l’employé lors de l’évaluation annuelle, à lui remettre des avertissements, à envisager un changement de poste ou une autre solution, ainsi qu’à donner la possibilité au travailleur de s’exprimer4;

d’avoir licencié un employé de 59 ans avec onze ans d’ancienneté, car malgré les aménagements faits par l’employeur pour soulager le travailleur ayant des problèmes de santé, ce dernier aurait dû être informé en temps utile sur le licenciement envisagé en raison des manquements constatés. L’employeur aurait dû lui donner une chance de s’améliorer en lui fixant des objectifs, aurait dû entendre l’employé à ce sujet et aurait dû vérifier s’il était possible de mettre en place une solution alternative permettant le maintien du rapport de travail5.

Le licenciement d’un travailleur âgé ne suffit pas par principe à rendre le licenciement abusif6. Le principe de la liberté de résiliation est garanti, mais le Tribunal fédéral exige systématiquement des mesures de protection accrues de la part de l’employeur, allant jusqu’à l’obliger d’entendre l’employé avant de le licencier. Le Tribunal fédéral semble écarter le principe fondamental de base sur lequel il s’était fondé dans le cadre d’une décision rendue en 2008, selon lequel on ne peut pas uniquement se fonder sur l’âge du travailleur pour conclure au caractère abusif d’un licenciement, mais qu’il convient de tenir compte de toutes les circonstances. Dans cette affaire, le licenciement n’avait pas été jugé abusif. Il s’agissait d’un travailleur de 55 ans avec une ancienneté de vingt-quatre ans ne donnant pas satisfaction dans son poste, ni dans un poste de substitution qui lui avait été proposé, et cela même s’il n’avait suscité aucune critique pendant une longue période7.

L’ARRÊT DU TRIBUNAL FÉDÉRAL DU 2 JUIN 20218

Dans une affaire récente, l’employé licencié avait 60 ans et bénéficiait de trente-sept ans d’ancienneté. Il était à la fois directeur général et membre du conseil d’administration de la société qui l’employait. Le Tribunal fédéral a confirmé dans un premier temps que l’employeur qui licencie un travailleur proche de l’âge de la retraite et au bénéfice d’une grande ancienneté doit accorder une attention particulière au mode de résiliation. Contrairement à ce qui est apparu dans de précédents arrêts, le Tribunal fédéral a ensuite réaffirmé ici le principe fondamental selon lequel l’étendue du devoir de protection de l’employeur dépend de l’appréciation de toutes les circonstances du cas concret. En d’autres termes, l’âge et l’ancienneté de l’employé ne peuvent pas être pris isolément pour créer des devoirs particuliers de l’employeur sans tenir compte des autres circonstances, telle la position du travailleur.

En l’occurrence, le licenciement avait été prononcé d’une part parce que le comportement de l’employé n’était pas adéquat à l’égard du personnel, ce dont certains s’étaient plaint, et d’autre part pour des raisons économiques.

S’agissant d’un directeur général, également membre du conseil d’administration, qui bénéficiait de compétences décisionnelles et de responsabilités importantes, couplées à un salaire relativement élevé, le Tribunal fédéral a considéré que l’employeur n’avait pas à chercher de solutions alternatives au licenciement. Il a précisé également qu’il n’existe aucune norme générale du droit des obligations qui contraindrait à entendre le travailleur avant son licenciement ou à l’avertir au préalable en le confrontant aux reproches faits. Finalement, il a conclu à ce qu’il n’était pas nécessaire de lui adresser un avertissement avant d’être licencié.

CONCLUSION

La récente jurisprudence du Tribunal fédéral ne prend pas uniquement en compte l’âge de l’employé pour déterminer si un licenciement est abusif ou non, mais revient aux fondamentaux, en précisant que seul un examen global de toutes les circonstances du cas, dont la position du travailleur, permet de le déterminer.


  1. Art. 336 al. 1 CO.
  2. Art. 328 CO.
  3. Arrêt du Tribunal fédéral 132 III 115.
  4. Arrêt du Tribunal fédéral 4A_558/2012.
  5. Arrêt du Tribunal fédéral 4A_384/2014.
  6. Arrêt du Tribunal fédéral 4A_72/2008 (57 ans/33ans d’ancienneté: congé non abusif).
  7. Arrêt du Tribunal fédéral 4A_419/2007.
  8. Arrêt du Tribunal fédéral 4A_44/2021; pour un résumé complet voir Info Sajec No 74 - Février 2022.