Loi sur le travail: Ménages privés systématiquement exclus?

En résumé

La loi fédérale sur le travail (LTr) ne s'applique pas aux ménages privés qui emploient du personnel à des fins privées. Cependant, la jurisprudence récente du Tribunal fédéral confirme que la LTr s'applique aux contrats tripartites impliquant une entreprise de soins à domicile, un travailleur et un ménage privé. Les travailleurs doivent respecter les règles de la LTr, y compris en enregistrant leurs heures de travail.

Le champ d’application de la loi quant aux ménages privés La loi fédérale sur le travail (LTr1) s’applique, sous réserve des exceptions qui y sont prévues, à toutes les entreprises publiques et privées2.

Il y a «entreprise», selon la loi, lorsqu’un employeur occupe un ou plusieurs travailleurs de façon durable ou temporaire, même sans faire usage d’installations ou de locaux particuliers3.

Parmi les exceptions quant aux entreprises sortant du champ d’application de la LTr, la loi stipule expressément les ménages privés4.

Selon le commentaire de la LTr rédigé par le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), ne sont notamment pas soumises à la loi les personnes occupées à titre privé (aide-ménagère, repasseuse, chauffeur, jardinier, précepteur, etc.). Ne sont en revanche pas considérés comme faisant partie des ménages privés les employés dont la tâche est liée à une activité professionnelle que leur employeur exerce à son domicile. N’entrent pas non plus dans la catégorie des ménages privés les résidences d’ambassades, consulats, etc., qui occupent du personnel de maison5.

De la liste d’exemples donnés par le SECO, on peut déduire que les prestations de soins à domicile dans les ménages privés sont également exclues du champ d’application de la loi6.

Il n’est pas contesté qu’en cas de rapport contractuel bipartite entre un ménage privé et un travailleur effectuant des soins à domicile, la LTr ne s’applique pas.

En revanche, en cas de rapport contractuel tripartite, comme la location de services, par exemple entre une entreprise, un travailleur et un client destinataire des soins à domicile, il s’agit d’interpréter la LTr pour déterminer s’il y a lieu de l’appliquer ou non. Une telle interprétation a été réalisée récemment dans le cadre d’une affaire soumise au Tribunal fédéral. Jurisprudence récente du Tribunal fédéral en présence d’un rapport tripartite impliquant un ménage privé7.

Dans cette affaire, une travailleuse engagée par une société (ci-après «l’employeuse») était chargée de soins aux personnes âgées, clientes de l’employeuse. La travailleuse a estimé que son contrat de travail n’était pas conforme aux prescriptions de la LTr quant à la durée du travail et du repos. Elle réclamait l’application des dispositions légales applicables en la matière contenues dans la LTr. Pour l’employeuse, la LTr n’était pas applicable au contrat de travail conclu avec la travailleuse, en raison du fait que ladite loi ne s’applique pas aux ménages privés8.

Le Tribunal fédéral a donc dû examiner si l’exclusion des ménages privés du champ d’application de la LTr peut viser, dans le domaine des soins à domicile et des travaux ménagers, non seulement les rapports bipartites entre le ménage privé et le travailleur, mais aussi les rapports tripartites entre le ménage privé, le travailleur et l’entreprise de soins à domicile qui l’emploie.

La loi ne définit pas la notion de ménage privé. Selon la jurisprudence et la doctrine, il y a ménage privé lorsque quelqu’un occupe du personnel dans son propre logement pour ses besoins privés plutôt qu’à des fins commerciales ou professionnelles. Il est indifférent que le travailleur vive ou ne vive pas en ménage commun avec l’employeur. Cela n’indique cependant pas si l’exception ne s’applique qu’aux rapports bipartites ou également aux rapports tripartites. L’exception visant les ménages privés a été prévue notamment parce que le contrôle du respect de la loi quant à la durée du travail et du repos serait difficile et impliquerait des visites dans les ménages privés.

Le Tribunal fédéral est arrivé à la conclusion qu’il est présumable que, dans les rapports tripartites, il n’existe pas une relation de confiance aussi intensément marquée entre le travailleur et le ménage privé que lors de rapports bipartites. Le travail fourni ne répond pas seulement aux besoins privés du destinataire des soins, mais il répond également au but commercial de l’organisation de soins à domicile. Il arrive fréquemment que le travailleur reçoive des instructions relatives à l’organisation du travail de la part de la société qui l’emploie et doive faire rapport à cette dernière. Il est donc possible de contrôler le respect de la durée du travail et du repos auprès de l’organisation de soins à domicile.

En outre, les exceptions doivent être interprétées restrictivement. En conséquence, l’exception au champ d’application de la LTr relative aux ménages privés ne s’applique pas dans le cadre d’un rapport tripartite impliquant un ménage privé et ce, quel que soit le type de contrat conclu entre les parties en présence (location de services ou autre).

Conclusion

L’application de l’ensemble des prescriptions légales contenues dans la LTr lorsqu’un travail est effectué dans un ménage privé et que le personnel n’est pas directement engagé par ledit ménage privé (rapport tripartite) semble s’imposer sur la base de la jurisprudence du Tribunal fédéral. Il est donc essentiel que le personnel affecté dans le ménage privé respecte les règles de la loi sur le travail et enregistre dûment la durée de son travail au moyen du support indiqué par l’employeur, par exemple au moyen d’une application en ligne ou d’un QR code scanné à chaque intervention dans le ménage privé. Nous espérons néanmoins que les contours et limites des règles de la LTr quant aux ménages privés seront précisés dans la loi ou dans l’une de ses ordonnances dans le futur.


  1. RS 822.11
  2. Art. 1 al. 1 LTr
  3. Art. 1 al. 2 LTr
  4. Art. 2 al. 1 let. g LTr
  5. Secrétariat d’Etat à l’économie, Loi sur le travail, commentaire de la loi et des ordonnances 1 et 2, version électronique, juillet 2020, p. 002-3
  6. ATF 148 II 203 (arrêt 2C470/2020 du 22 décembre 2020)
  7. Ibidem
  8. Art. 2 al. 1 let. g LTr