
Chaînes d’approvisionnement et économie circulaire: peut-on concilier performance et robustesse?
En résumé
Face à la montée des incertitudes géopolitiques, à la raréfaction des ressources et à la pression croissante pour une conduite responsable des affaires, les chaînes d’approvisionnement sont sous tension. Est-ce l’opportunité pour l’économie circulaire de sortir d’une démarche de niche et de devenir levier de résilience?
Un contexte sous tension: Depuis 2020, l’ensemble de l’économie a expérimenté la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement face à l’accumulation de perturbations successives: pandémie, guerre en Ukraine, conflits sur l’appropriation des ressources, variations marquées du prix des matières premières, perturbations des productions dues aux catastrophes climatiques ou encore hausse massive des taxes douanières. Les PME suisses, dont les chaînes de valeur dépendent fortement de l’importation de matières premières et de composants, ont vu leurs coûts et leurs délais fluctuer en même temps que la mise à mal de la fiabilité des arrangements en place. A cela s’ajoutent les attentes grandissantes de la société sur la durabilité des politiques d’achat et l’épuisement des ressources elles-mêmes.
Les réponses ? Dans l’immédiat, les approches consistent à diversifier les fournisseurs, augmenter les stocks ou rechercher des partenaires plus proches. A plus long terme, rendre une chaîne d’approvisionnement plus robuste va demander une réflexion en profondeur sur l’équilibre à trouver entre performance et stabilité, autrement dit l’arbitrage entre efficacité et efficience d’un côté, et plus grande proximité et fiabilité dans le temps des approvisionnements de l’autre. Si aujourd’hui, on considère que la performance ne se limite plus à la réduction des coûts mais inclut également la capacité à encaisser les chocs et à répondre aux attentes des clients et des régulateurs, alors l’économie circulaire, pour laquelle de nouvelles normes sont entrées en vigueur au 1er janvier 2025 en Suisse[1] peut être une source d’inspiration importante.
Figure 1 : schéma de l’économie circulaire ; source : Office Fédéral de l'Environnement (OFEV)
Économie circulaire et efficience, même combat: contrairement à ce que certains pourraient penser, l’économie circulaire n’est pas un modèle d’économie subventionnée à l’envers du bon sens suisse. Bien au contraire, l’économie circulaire est ancrée dans un idéal de valorisation et d’optimisation qui se distingue du modèle linéaire traditionnel (« extraire, fabriquer, consommer, jeter ») en visant à réfléchir dès la conception d’un produit aux moyens de limiter le gaspillage et la surconsommation de ressources. Il s’agit de faire preuve d’imagination pour retarder voire éliminer le moment où un produit et l’ensemble de ses composants sont mis en décharge de manière définitive. En plus d’être un moyen de faire face aux défis de la chaîne d’approvisionnement, c’est aussi une réaction indispensable face à un record dont la Suisse se passerait bien: le volume de déchets par habitant le plus élevé d’Europe et une consommation de matière au moins 3 fois plus élevée que le seuil souhaité.
Voici comment s’y prendre :
1. ÉVITER OU RÉDUIRE LA PRODUCTION ET LA CONSOMMATION
- Refuser: Il s’agit ici de questionner la nécessité de chaque produit ou service, de limiter les emballages et produits à usage unique ou encore de bannir les substances dangereuses. Avec une culture de la consommation encore forte, cette action a le potentiel le plus fort.
- Repenser: On trouve dans cette catégorie les modèles d’affaires basés sur l’usage (Donkey Republic à Genève), ainsi que l’éco-conception qui vise à intégrer la circularité dès la phase de design. C’est un domaine à fort potentiel de croissance en Suisse.
- Réduire: Il s’agit ici d’optimiser les processus pour consommer moins de ressources, réduire les emballages, limiter les déchets de production, ou la consommation énergétique (programmes SIG Eco-21 par exemple). Si cette démarche est bien établie, elle garde encore une belle marge de progression.
2. PROLONGER LA DURÉE DE VIE DES PRODUITS ET DES COMPOSANTS
- Réutiliser: Pour cela, il faut organiser la collecte et la remise en circulation de produits (l’objectif de la loi sur le réemploi à Genève - L12869), créer des partenariats pour le réemploi de bien entre entreprises (Re-sources), encourager la consigne ou la location de longue durée. Là aussi, des solutions existent mais la logistique induite est encore un défi pour une croissance de ce secteur à l’échelle.
- Réparer: Le passage au circulaire, c’est en grande partie faciliter l’accès à la réparation (SAV, pièces détachées, impression 3D, formation, conception). Là aussi, le potentiel est sous-exploité avec des enjeux de coûts et légaux à la clé.
- Rénover: Une approche pertinente pour le bâti et les équipements, la collaboration avec des filières spécialisées permet d’allonger la durée de vie de ses équipements ou d’acquérir du matériel remis à neuf. L’approche a une bonne maturité dans le bâtiment, et s’est développée dans l’électronique et le matériel informatique, avec comme obstacle la pénurie de personnel qualifié autant que des surcoûts parfois dissuasifs.
- Remanufacturer: Plus complexe que la réutilisation, il faut ici des chaînes de démontage et de remise à neuf, ce qui rend cette pratique rare.
- Réemployer à une autre fin: Ici, le format le plus connu, c’est l’upcycling des déchets en meubles notamment et limité à l’artisanat et aux start-ups créatives.
3. VALORISER LES RESSOURCES, PAR EXEMPLE À TRAVERS LE RECYCLAGE.
- Recycler : le tri et le recyclage des matières, sont un point fort pour l’aluminium, le PET et le verre, qu’il faut maintenir, mais c’est au détriment de la réduction et du réemploi.
b) Récupérer : Finalement, la valorisation énergétique est l’ultime recours et une grande partie des déchets non recyclables suit ce chemin en Suisse.
On le voit, la Suisse excelle dans le recyclage mais le potentiel est encore immense sur les autres aspects de la circularité.
Qu’en est-il pour les services? L’économie circulaire s’appliqueégalement aux services parce que le tourisme, la restauration, la santé, la finance ou la mobilité s’appuient tous sur des ressources matérielles (équipements, énergie, infrastructures). Dès lors, la mutualisation d’espaces, l’utilisation d’équipements reconditionnés, la gestion responsable des déchets ou les modèles basés sur l’usage (location, partage) sont autant d’actions à disposition. Les services sont par ailleurs un élément important pour passer d’une économie de la possession à celle de l’usage.
La nouvelle édition du concours IDDEA et la seconde édition du Forum Entreprendre pour Régénérer qui ont eu lieu en mai dernier, ont monté que pour beaucoup d’entreprises, la durabilité et l’économie circulaire font partie intégrante de leur ADN.
Aujourd’hui, la Suisse a besoin d’une implication plus large de ses entreprises pour exploiter tout le potentiel de l’économie circulaire et faire face aux défis de la transition écologique. Voici plusieurs propositions pertinentes pour savoir par comment se lancer :
- Faites un audit de votre consommation d’énergie ou un examen de votre gestion des déchets
- Visitez le ZIBAY Ecoparc pour découvrir comment 8 entreprises ont mis en place une démarche d’écologie industrielle, dans l’esprit de l’économie circulaire.
- Participez au Défi’25 de la FTI sur l’économie circulaire et les circuits courts.
- Profitez de votre été pour suivre un cours en ligne gratuit sur l’économie circulaire ou pour lire la synthèse de projet d’accélération de l’économie circulaire du Grand Genève.
- Familiarisez-vous avec la feuille de route de la SIA sur le sujet (construction).
- Jetez un œil critique à votre chaîne d’approvisionnement avec ces outils listés par Go for Impact
- Notez les dates du prochain forum Entreprendre pour Régénérer
Au final, adopter une logique circulaire implique souvent de revoir la notion de performance: là où le modèle linéaire privilégie la rapidité, le coût minimal et l’optimisation des flux, la circularité suppose parfois d’accepter des délais plus longs, des coûts initiaux plus élevés ou une organisation plus complexe. A moyen et long terme, miser sur la circularité, c’est investir dans la robustesse, l’innovation et prendre ses responsabilités pour bâtir une économie plus souveraine et durable.
Ici, l’engagement des entreprises ne pourra pleinement porter ses fruits qu’avec un cadre institutionnel fort, capable de soutenir l’innovation et de sécuriser l’approvisionnement en ressources du pays. Des incitations ciblées et une politique publique ambitieuse sont indispensables pour absorber sainement les investissements nécessaires au développement des volets de l’économie circulaire encore sous-exploités en Suisse.