Contrat de travail, mandat ou contrat d’entreprise?

En résumé

Au vu de la réglementation spécifique applicable au contrat de travail, il est utile de distinguer un contrat de travail d’un autre type de contrat, par exemple d’un contrat de mandat ou d’un contrat d’entreprise.

Le contrat de travail se distingue avant tout des autres contrats de prestation de services, en particulier du mandat, par l’existence d’un lien de subordination qui place le travailleur dans la dépendance de l’employeur sous l’angle personnel, organisationnel et temporel ainsi que, dans une certaine mesure, économique. Le travailleur est assujetti à la surveillance, aux ordres et instructions de l’employeur; il est intégré dans l’organisation de travail d’autrui et y reçoit une place déterminée.

Pour déterminer si les rapports contractuels entre les parties présentent ou non les caractéristiques d’un contrat de travail, le juge considérera en premier lieu le contenu du contrat. En application de l’art. 18 du Code des obligations (CO), le juge ne doit pas s’arrêter aux termes utilisés par les parties, mais il doit chercher leur réelle et commune intention, sans s’arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la véritable nature de la convention.

ASSURANCES SOCIALES - ACTIVITÉ SALARIÉE ET ACTIVITÉ INDÉPENDANTE

En droit suisse des assurances sociales, seul deux statuts liés au travail sont reconnus par les autorités compétentes, c’est-àdire par les caisses de compensation AVS: l’assuré est soit un salarié soit un indépendant.

Cette qualification de l’activité de l’assuré s’exerce de cas en cas au regard de critères définis par la loi1 et la jurisprudence. Elle s’opère sur la base des documents fournis par l’assuré (par exemple des copies de contrats passés avec les clients et les fournisseurs, notamment bail à loyer, factures de frais, notes d’honoraires, etc.), mais surtout sur la base des circonstances économiques concrètes de l’activité.

Les critères principaux de l’activité indépendante au sens de l’AVS sont les suivants.

  • Le risque économique : les profits appartiennent à l’entrepreneur et les salaires de son personnel, les divers frais et les pertes éventuelles sont également à sa charge. L’entrepreneur procède à des investissements en capital et en matériel ; il paie, en général, un loyer commercial. Il agit en son propre nom et pour son propre compte. Il se procure lui-même les mandats et peut en refuser.
  • L’organisation du travail : l’élément principal au niveau de l’organisation du travail est l’absence de lien de subordination. Est considéré comme indépendant celui qui n’est pas soumis de façon déterminante aux instructions d’autrui.
  • L’accomplissement du travail : l’un des critères de l’indépendance est le fait de pouvoir engager du personnel et lui déléguer l’exécution de tout ou partie des tâches.
  • Le droit de pouvoir travailler pour plusieurs entreprises.
  • L’utilisation de ses propres locaux.

À l’inverse, doit être qualifiée de rétribution en lien avec une activité dépendante la rémunération perçue par une personne qui collabore régulièrement avec une autre, autrement dit lorsque l’employé est régulièrement tenu de fournir ses prestations au même employeur.

De même, l’existence d’une clause de prohibition de faire concurrence après la fin du contrat signé par les parties, de quelque manière que ce soit, notamment d’exploiter pour son propre compte une entreprise concurrente, d’y travailler ou de s’y intéresser, conformément aux art. 340 ss CO, implique généralement qu’il s’agit d’un contrat de travail, car une telle clause ne peut être imposée à un indépendant.

En outre, le fait que la personne exerce son activité à titre principal ou accessoire n’a aucun effet sur la qualification de celleci. Une personne exerçant une activité lucrative indépendante peut simultanément avoir la qualité de salarié2.

Certains des critères du droit des assurances sociales décrits ci-dessus peuvent être transposés pour l’appréciation juridique de la situation en droit du travail, soit pour la qualification du type de contrat.

En ce qui concerne le critère de la subordination en particulier, celui-ci doit être relativisé en ce qui concerne les personnes exerçant des professions typiquement libérales ou ayant des fonctions dirigeantes. Comme l’indépendance de l’employé est beaucoup plus grande, la subordination est alors essentiellement organisationnelle. Dans un tel cas, plaident notamment en faveur du contrat de travail la rémunération fixe ou périodique, la mise à disposition d’une place de travail et des outils de travail, ainsi que la prise en charge par l’employeur du risque de l’entreprise. Le travailleur renonce à participer au marché comme entrepreneur assumant le risque économique et abandonne à un tiers l’exploitation de sa prestation en contrepartie d’un revenu assuré.

Le salaire est également un élément essentiel du contrat de travail. Toutefois, l’absence de clause expresse sur le salaire n’exclut pas que les parties soient liées par un contrat de travail, dans la mesure où il suffit que, selon les circonstances, un salaire doive être payé par l’employeur. Aux termes d’un arrêt rendu par le Tribunal fédéral (TF) le 28 janvier 20223, un employeur auquel des employés actifs dans la gestion de fortune réclamaient notamment des arriérés de salaire a invoqué que les contrats qui liaient les parties ne constituaient en réalité pas des contrats de travail, mais des mandats, résiliables en tout temps. Le TF a balayé cet argumentaire, en relevant notamment que:

  • les contrats litigieux s’intitulaient Employment contract et comportaient toutes les clauses usuelles d’un contrat de travail;
  • il ressortait des échanges entre les parties antérieurs à la conclusion du contrat que celles-ci avaient la volonté de se lier par un rapport de droit du travail;
  • la société avait présenté les employés comme tels, tant à l’interne qu’à l’externe;
  • les employés disposaient d’une carte de visite au nom de l’entreprise;
  • certes, les employés disposaient d’une certaine indépendance dans l’organisation de leurs activités avec leurs clients, mais un lien de subordination organisationnel entre l’employeur et ses employés demeurait malgré tout. En particulier, l’employeur avait fourni du travail aux employés en leur indiquant les clients à démarcher et s’était impliqué dans la recherche d’investisseurs;
  • l’employeur était en outre intervenu dans les démarches de location de locaux et avait déclaré à un courtier immobilier qu’il avait pour but d’ouvrir une succursale au lieu de travail habituel des employés;
  • l’employeur avait décidé unilatéralement et sans concertation de remplacer deux collaborateurs dans leur poste de gestionnaires de fonds, en précisant à un tiers partenaire en affaires que ceux-ci étaient et demeuraient ses employés;
  • les employés consacraient toute leur force de travail à l’employeur, à l’exclusion de toute autre activité lucrative, même annexe, de sorte qu’ils étaient dépendants économiquement de celui-ci;
  • les parties étaient expressément convenues du paiement d’un salaire.

Selon le TF, la relativisation du critère du lien de subordination en raison du modèle d’affaires choisi n’empêchait ainsi pas que le travailleur présente d’autres liens de dépendance à l’entreprise, ce qui, en l’occurrence, découlait des différents éléments de faits listés ci-dessus. Le TF a ainsi considéré que dans le cas particulier, les employés étaient bien liés à la société par un contrat de travail.

CONCLUSION

Le critère de la subordination pour qualifier le contrat de travail doit être relativisé en ce qui concerne les personnes exerçant des professions typiquement libérales ou ayant des fonctions dirigeantes. Comme l’indépendance de l’employé est beaucoup plus grande, la subordination est alors essentiellement organisationnelle. 


1 Loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS – Recueil systématique du droit fédéral 831.10): cf. également les Directives sur le salaire déterminant dans l’AVS, AI et APG (DSD) édictées par l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS).

2 Cf. art. 12 al. 2 Loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA), Recueil systématique du droit fédéral-830.1

3 4A_365/2021, résumé in InfoSAJEC n°75, mai 2022.